Le 10 décembre dernier le 3e TEDx de Limoges nous proposait de communiquer sur le thème « Résistances ». Notre propos s’est développé autour du titre suivant: L’art-thérapie ou la stratégie du détour comme outil de résistance
L’art-thérapie ou la stratégie du détour comme outil de résistance
Méduse!
Le monstre dans toute sa splendeur terrifiante… ancienne beauté, transformée par vengeance en vision d’horreur: chevelure grouillante de serpents et regard qui pétrifie celui qui le croise.
Mais est il tellement besoin de vous la présenter?
Certainement, chacun ici l’a déjà rencontrée, sous une forme ou une autre.
Car Méduse et partout: en nous, autour de nous.
elle est la peur, le mal être, la maladie: les nôtres, ceux du monde.
Y résister, c’est véritablement mener un long combat et celui-ci n’est pas à armes égales:
Si nous regardons Méduse en face, nous somme pétrifiés, comme tous ceux qui ont essayé de l’attaquer en direct car son pouvoir est tout puissant.
Ce qui nous fait mal est beaucoup plus grand et plus fort que nous: cela nous fragilise et peut même nous aliéner. Bien souvent, nous n’avons pas la force d’agir et nous laissons agir et dominer aussi bien par ce qui cherche à nous contrôler de l’extérieur que par ce qui a pris le pouvoir à l’intérieur de nous. Le pire est quand nous ne nous en rendons même plus compte…
Alors, le combat est-il perdu d’avance?
C’est sans compter sur l’existence d ‘une ruse extraordinaire, la stratégie du détour:
L’exemple nous est donné par Persée:
Persée, le héros grec, s’est donné pour mission de tuer la Gorgone Méduse et de ramener sa tête.
Comment s’y prend-il?
Il sait qu’il ne pourra affronter le monstre seul. Aussi va -t-il faire appel à de l’aide extérieur: celle d’Athéna, la très rusée déesse de la guerre et de la justice: Athéna est présente au combat, mais n’y participe qu’indirectement; son aide vient de l’outil qu’elle offre à Persée: cet outil, c’est un bouclier d’argent, tellement poli qu’il peut servir de miroir. Athéna le place entre Persée et Méduse de telle manière que Persée n’a pas besoin de regarder son ennemi en face, et que Méduse se pétrifie en découvrant son propre reflet dans le bouclier. Persée peut alors la décapiter sans danger. Le bouclier-miroir aura été l’outil stratégique de détournement qui aura permis à Persée de sortir vainqueur.
Si Méduse est vaincue, souvenons nous néanmoins qu’elle garde ses pouvoirs au-delà de la mort: sa tête sera utilisée par suite par Persée pour pétrifier de nouveaux ennemis. Mais ceci est une autre histoire. …
Un résumé: nous avons 4 instances en présence dans le combat :
Un héros: Persée
le monstre ennemi: Méduse
la présence amie: Athéna
l’outil de ruse: le bouclier d’argent, symbole de la stratégie du détour.
Mais alors, en quoi ce mythe de Persée nous sert il aujourd’hui?
C’est qu’il est en tous points transposable à l’art-thérapie; ce sont les mêmes acteurs en présence:
- le héros = vous
- le monstre = le monde mal portant, ce qui fait mal, qui fait peur, rend malade, que cela vienne de l’extérieur ou de l’intérieur
- la présence amie: l’art-thérapeute, compagnon de voyage
- et surtout, l’outil stratégique de détour: ce sera le processus de création artistique.
Alors, je vous propose une petite expérience et vous invite à fermer les yeux pour faire un petit voyage intérieur…imaginez: silence le lieu de l’action:
…vous êtes dans un atelier d’artiste: des outils, des pots, des bouteilles, des couleurs, des taches, des coulures, des chiffons, des odeurs; de colle, d’huile de lin , de terre, de plâtre…
Imaginez:
une personne est présente avec vous dans cet atelier: cette personne c’est l’art-thérapeute, votre compagnon de voyage. Elle a disposé au mur une immense feuille de papier blanc et posé sur une table une assiette remplie de peinture noire. Elle vous tend un gros pinceau enduit de cette peinture noire: elle vous invite à vous en saisir et déposer des traces de peintures sur la feuille, comme ça vient. Alors, vous vous mettez en mouvement: vous vous approchez de la feuille, vous tendez le bras et appuyez le pinceau sur la feuille; une première trace apparait. Puis, vous continuez: vous élargissez un peu votre geste vers la gauche par exemple, et tracez une ligne ; vous observez comment la trace suit le mouvement de votre bras; vous sentez le glissement du pinceau sur le papier, l’onctuosité et la douceur de la peinture qui se dépose peu à peu. Déjà une forme commence à s’inscrire sur la feuille.
Puis vous rechargez le pinceau avec la peinture dans l’assiette: vous patouillez, vous jouez à tourner le pinceau et vous laissez porter par la sensualité de la matière, sa fluidité, son élasticité, sa viscosité; observez aussi la profondeur du noir, son velouté, son opacité…
Et vous poursuivez, comme ça vient la première trace posée. Surtout ne réfléchissez pas; délestez vous de toute intention; laissez seuls votre main et votre bras vous guider.
Peu à peu votre feuille se rempli de traces, de signes peut-être étranges.
Posez votre pinceau et reculez vous un peu. silence..
Observez maintenant votre production: comment est rempli l’espace de la feuille: regardez les lignes; les droites, les courbes, les points de croisement; les traits pleins, ceux qui se vident, les épaisseurs, les coups de brosse plus fins…observez chaque détail: c’est là que tout se joue: dans cette observation et la découverte de détails qui vont s’avérer précieux.
Rouvrir les yeux.
En art-thérapie, ce sont à nouveau quatre éléments successifs qui constituent le mouvement de résistance:
- la forme que vous avez réalisée,
- son observation minutieuse
- le ressenti qui s’y rattache, au plus profond de vous même,
- puis la forme suivante inspirée par ce ressenti et les nouvelles consignes de l’art-thérapeute.
C’est ainsi que vous entrez petit à petit dans un mouvement inédit: celui de processus de création. Et c’est ce processus qui devient une médiation entre vous et le monde, c’est lui le bouclier d’Athéna, c’est lui la stratégie du détour.
Car comme vous l’avez constaté, il n’y a pas de message direct, pas d’expression intentionnelle, pour dire: « je suis triste », ou « je peins mon cancer », par exemple. L’art ici ne s’intéresse pas au fond, mais à la forme. Au cours du processus, les formes que vous créez deviendront à la fois plus en plus complexes et plus présentes.
Elles prennent racine sur la reconnaissance de signes, de détails, ou de symboles importants pour vous qui auront jailli de vos mains en cours de séance. Ces détails sont essentiels: ils vous permettent de vous mettre en contact avec vos images référentielles les plus profondément enfouies, celles qui permettent de SE dire en toute singularité.
Ces formes, au bout d’un temps, finissent par avoir leur existence propre en se détachant et même en dépassant leur auteur.
Ainsi, aurez vous créé, sans même vous en rendre compte, vos propres outils de résistance .
Car voyez vous, créer, c’est recréer le monde à Son image, à nulle autre pareille.
C’est là toute la puissance du travail de l’art-thérapie qui nous fait entrer dans un autre système: celui de la métaphore artistique qui contient intrinsèquement le pouvoir le changer le monde: « j’agis sur le monde en me laissant agir par la forme symbolique qui a jailli de mes mains ».
Résister passerait ainsi par l’invisible de la métaphore contenue dans la forme artistique. Et c’est dans cet invisible que pourrait se situer sa puissance ce qui permettra à chacun, bien ou mal portant, de se recréer et devenir son propre artiste.
Advenir de la sorte à soi même, c’est donc se mettre en résistance illimitée face à tout ce qui nous brise, nous enchaine, nous aliène ou chercher à nous contrôler. Cela renvoie chacun au questionnement fondamental qu’est sa place de créateur dans la société.
Car créer c’est résister.
http://www.tedxlimoges.fr